Confluence (2000)

Théâtralisatiom Du Rituel De Veuvage Luba Et Ses Espaces Scéniques Au Québec.

Kambia Tchitala Nyota

I. Introduction

Le Québec est une terre d’asile pour les uns et une terre d’immigration pour les autres. Qu’il soit exilé ou immigrant en sol québécois ou ailleurs, un peuple traîne avec lui ses traditions, ses croyances religieuses et sa langue. Il n’aura peut-être pas le choix de leur sépulture mais de ses pratiques traditionnelles restent inchangées. D’ailleurs, l’écrivain Zohra Bouchentouf-Siagh disait il y a quelque temps qu’un jour il faudra consacrer un colloque à l’appartenance culturelle par la mort ou par la sépulture. Je crois que ce jour est arrivé.

J’ai l’honneur de vous décrire de ce qu’il advient lorsqu’ une femme luba perd son conjoint. A travers cette communication, je me propose de partager avec vous le fruit de mes recherches d’une étude comparative sur les différents espaces scéniques et accessoires utilisés par la veuve luba en milieu étranger, notamment “en terre québécoise.” Pour la bonne compréhension du sujet, permettez-moi d’abord de vous dire un mot sur le peuple luba et ses traditions. Je parlerai ensuite de l’adaptation de la dimension théâtrale du rituel de veuvage, à travers les espaces scéniques, les gestes, les paroles et les attitudes reproduits par la veuve et les personnes qui l’entourent lors du décès de l’époux. Je terminerai enfin par une conclusion résumant les comparaisons.

Ii. Le Peuple Luba et le Probleme de la Sepulture

Le peuple luba habite la province du Kasaï dans le sud de la République Démocratique du Congo, ex-Zaïre. Comme vous le savez, ce pays est situé au centre de l’Afrique. Le peuple luba est l’un des rares peuples qui respecte et pratique encore jalousement les traditions légués par ses ancêtres. Intéressons-nous au cas qui nous préoccupe, celui des différents espaces scéniques utilisés lors des funérailles luba et demandons-nous si ces espaces scéniques peuvent être adaptés au Québec.

Iii. Les Funerailles Luba

En pays luba, les espaces scéniques utilisés sont déterminés soit par la domiciliation soit par certains facteurs géographiques non prévus à l’avance. En ce qui concerne la domiciliation, l’espace scénique s’identifie au domicile du défunt ou celui de son père dans le cas où le décédé n’avait pas de domicile fixe.

L’un des facteurs géographiques est déterminé, selon le cas, par l’endroit où l’on ira enterrer le cadavre. Ainsi, si c’est au village, cela se passe dans la cour intérieure attenante au domicile du défunt. Au cas où ce dernier serait chef, il serait inhumé soit à l’intérieur de sa maison soit dans le lit d’un cours d’eau. Précisons que lorsque l’inhumation se passe à l’intérieur de la maison, on creuse nuitamment la tombe au salon, en toute discrétion. Si maintenant, le décès a lieu dans un centre urbain, l’enterrement se passe tout simplement au cimetière. Ce qui est important pour la suite, c’est qu’il faut savoir que d’autres facteurs géographiques sont déterminés par des exigences de la coutume comme la rivière la plus proche pour le bain rituel de la veuve, le marché environnant pour la promenade rituelle ou l’intersection des routes pour le rite de kuupulàà lufwiilàà. Ce rite se matérialise par l’accomplissement d’une relation intime obligatoire entre la veuve et l’un des frères du défunt.

Iv. La Transposition au Quebec

Nous allons sûrement nous heurter à quelques réalités liées au modernisme. En effet, les espaces sont différents au Québec. Par exemple, la dépouille ne peut pas être exposée au domicile du défunt ni enterrée dans son appartement, et encore moins dans son jardin. À cet effet, la société québécoise est bien structurée et a prévu plusieurs aménagements. Ainsi, l’exposition de la dépouille mortelle a lieu dans un salon funéraire comme Magnus Poirier, Demers ou Alfred Dallaire selon le choix du client. Tout est planifié d’avance selon la volonté du défunt, de sa famille et des assureurs. Le bain rituel de la veuve qui se fait normalement à la rivière en pays luba se fera, ici, dans la salle de bain. Le rite de Kuupulàà lufwiilàà aura lieu dans un hôtel et non pas à l’intersection des routes. Cependant, bien que ce rituel de veuvage se passe en pays étranger, sa nature et ses fonctions sociales ne changent pas toutefois. Le rituel appartient toujours à la littérature orale et reflète la vie concrète du peuple luba. Son rôle primordial étant toujours d’établir l’équilibre des forces perturbées par la mort. En effet, pour les Africains, comme l’a écrit Louis Vincent Thomas << Le monde est un engrenage de forces que l’homme doit canaliser et contrôler pour assurer l’équilibre social >>.

V. La Dimension Theatrale de ce Rituel

Notons que les espaces traditionnels sont substitués par les réalités du milieu où se passe l’action. Au théâtre aussi, le texte dramatique et les espaces scéniques sont adaptés selon les réalités du lieu. La seule différence, au théâtre, est que le texte et les acteurs sont organisés suivant les techniques esthétiques et répondant à un message qui peut être pédagogique, politique ou idéologique. Ce qui nous intéresse ici, c’est l’adaptation de la dimension théâtrale du rituel de veuvage au Québec, à travers les gestes, les paroles, et les attitudes reproduits par la veuve et les personnes qui l’aident a accomplir le rite, dès l’annonce du décès de son époux.

Ma communication a pour but de montrer précisément que ces différents lieux utilisés au Québec sont aussi des véritables espaces scéniques, ayant le même impact que ceux utilisés en pays luba. Le rituel funéraire << dramatisé >> qui s’y déroule est un spectacle. Les personnes qui y assistent sont en même temps acteurs, metteur en scène et scénographe aux yeux de l’observateur. En plus, ces lieux qui semblent ordinaires revêtent un caractère sacré pour ceux qui les transforment afin d’y effectuer les rites. Comme tel, ces espaces deviennent des véritables scènes avec coulisses. Ces espaces, bien que situés dans un milieu urbanisé, répondent exactement aux besoins de la veuve pour l’accomplissement du rite. Ils sont utilisés à un moment de crise dans la vie sociale de la veuve puisqu’il faut rappeler que le rituel de veuvage a pour but d’aider la femme éprouvée à continuer sa vie et à retrouver son équilibre. Ce n’est peut être pas du théâtre pour ceux qui y prennent part puisqu’il est vécu. Mais dans la mesure ou il s’agit d’un texte, d’un discours codifié, reproductible à un moment précis, dans des espaces précis, chaque fois que la vie est menacée, il est possible de le considérer comme du << théâtre >>. Oui, c’est bien du théâtre si on voit aussi la façon dont le rituel est reproduit en actes, joué par des personnages précis lesquels ne l’ont pas inventé, mais sont simplement chargés de le jouer.

Vi. Conclusion

En guise de conclusion, je peux dire que les funérailles luba peuvent être aussi bien vécues au Québec comme au pays d’origine. Les différents espaces scéniques d’origine peuvent être adaptés et transférés du domaine de l’intimité à celui du spectacle où le jeu devient possible. On pourra alors parler de théâtralisation funéraire. Cette recherche peut donc contribuer à mieux cerner le problème d’identité de ce peuple luba en pays étranger, les difficultés auxquels il est confronté lorsque survient le décès d’un époux et les profondeurs mystérieuses de sa culture à travers laquelle on retrouve un théâtre authentique, une expression dramatique originale où l’homme, la sexualité, la mort et le sacré sont unis. De ce fait, le théâtre rituel restera un instrument de formation et une source d’inspiration pour les créateurs.

J’aimerais aussi ajouter que l’importance et l’originalité de ce travail c’est que jusqu’à cette date, aucune étude poussée n’a été conduite sur la théâtralisation du rituel de veuvage luba et ses espaces scéniques en milieu québécois. C’est probablement les difficultés que représentent une telle étude et la complexité des funérailles luba, notamment le caractère souvent secret des cérémonies ou l’emploi d’un langage accessible seulement aux initiés qui ne facilitent pas la tache aux chercheurs, surtout s’ils sont étrangers à la culture luba.

References

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